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Déclaration universelle des droits de l'esprit humain - Mark Hunyadi

Je viens de terminer le dernier ouvrage de Mark Hunyadi « Déclaration universelle des droits de l'esprit humain », dont j'avais entendu une intervention qui m'avait particulièrement parlée dans un épisode de Tournant d'Arnaud Ruyssen...
Alors qu'il me parait encore plus clair qu'avant qu'il faut urgemment et impérativement réglementer le numérique en la matière, c'est surtout l'analyse sur l'état des choses du professeur Hunyadi qui a percuté en moi, notamment parce que ça m'a fortement fait penser à ce que Spinozza a à dire sur la liberté...

Déclaration universelle des droits de l'esprit humain - Mark Hunyadi

C'est d'une évidence sans nom, le numérique tire sa force de l'ensemble des données collectées.
Tout est donnée, que ce soit en entrée (input) ou en sortie (output) et les grands acteurs du numérique en ont aujourd'hui digéré tellement qu'ils sont à présent en mesure d'ajuster en temps réel un ensemble astronomique d'inputs afin que l'être humain aille vers les objectifs qu'ils ont fixés.

Cependant, la capacité première de l'esprit humain est d'imaginer ce qui n'est pas encore, ce que le professeur Hunyadi appelle la « contrefactualité »... et pas de choisir parmi une offre [de services], qui, même si elle est énorme, sera malgré tout limitée.
C'est un peu comme un jeu vidéo, ou le [in]fameux Métavers : aussi bien soit pensé cet univers numérique, on sera toujours limité dans nos choix et nos actions par les limites imposées par ses créateurs.

Il est aussi établi que, si on habitue l'homme, et/ou son esprit, à la facilité de choisir parmi une panoplie de choses qui existent déjà — et qui sont souvent lucratives, d'une façon ou d'une autre pour une partie, très limitée, des acteurs du numérique —, l'esprit, qui est partisan du moindre effort (lire à ce sujet le Le bug humain — Sébastien Bohler qui explique, entre autre, le fonctionnement de la dopamine et le circuit de la récompense), s'engourdit et perd cette faculté essentielle.
Ceci est encore amplifié davantage par la satisfaction instantanée que peut proposer le numérique.

Je résume ici, mais selon Mark Hunyadi, et je pense que je le rejoins entièrement sur la question, c'est ici que se situe le danger pour l'esprit humain... C'est qu'à force de succomber aux chants des sirènes du numérique, l'humain perde sa capacité à imaginer ce qui n'est pas encore et se satisfasse de plus en plus de ce qui est déjà [proposé]. Et force est d'admettre que dans l'état actuel des choses, les fameuses #IA à la mode ne sont PAS en mesure de prendre le relais : aussi brillantes qu'elles puissent paraître, elles sont tout au plus capables de régurgiter la data déjà avalée.

Je n'ai pas pu m'empêcher de faire le lien avec la façon dont Spinozza considère la liberté.
En effet, il établit qu'il n'est pas possible pour l'Homme d'être libre parce qu'il est toujours contraint par les conséquences de ses choix et de ceux des autres. Selon lui, la seule façon d'accéder à la liberté est de prendre pleinement conscience de ces contraintes, pas pour s'en défaire, mais pour pouvoir choisir en toute connaissance de cause.

Or, comme le démontre assez brillamment Mark Hunyadi dans son ouvrage, tout est fait pour que l'on perde conscience que ces contraintes existent, soit en ajustement perpétuellement les paramètres des algorithmes qui nous gouvernent, même sans le savoir, ou en élargissant encore et encore l'offre de service, quite à crâmer davantage encore notre planète pour des biens et des services dont nous n'avons pas réellement besoin.
Bref... En nous faisant hacker notre esprit, outre l'impotence créative et l'impact indéniable pour l'environnement, on risque également de finir enfermés dans une jolie cage d'orée dont, plus le temps passe, les méandres pour en sortir deviennent de plus en plus complexes et connues par peu de monde.

Bref... « Agir il faut », comme dirait maître Yoda...
Or, aujourd'hui, le cadre européen sur le numérique, qui est malgré tout la première réglementation au monde en la matière, et qui sera donc de facto clonée partout ailleurs, s'atèle uniquement à garantir que l'on puisse se mouvoir de façon éthique dans un monde cybernétique. Il n'offre cependant aucune garantie sur la possibilité de ne pas en faire partie et encore moins d'en sortir
Donc, puisque le cadre européen part du postulat de départ que l'Homme est numérique, celui-ci ne fait que renforcer la contrainte, l'obligation, coûte que coûte, de devenir un bon citoyen cybernétique.

Il y a quelque chose de poétique dans l'idée de rédiger une déclaration universelle des droits de l'esprit humain, comme le fait Mark Hunyadi à la fin de son ouvrage et c'est assez ingénieux de prendre pour modèle l'Autorité internationale des fonds marins qui, sous l'égide des Nations Unis, tente d'offrir une série de garanties avant que l'Homme ne viennent y mettre la pagaille.
On pourrait aussi imaginer s'inspirer du droit international de l'espace qui, en plus des garanties, me semble aller plus loin sur les possibilités d'exploitation puisqu'il offre un cadre sur les mesures préventives qu'il convient de prendre quand on ramène quelque chose de l'espace sur terre et l'inverse. Un tel cadre pour l'esprit humain permettrait dès lors de définir, pas uniquement ce qui est permis ou pas, mais également quelles seraient les précautions indispensables à prendre tant avec ce qui rentre dans l'esprit que ce qu'il en ressort.

Mais étant donnée qu'on n'est déjà pas fichus de se mettre d'accord sur quelque chose d'aussi futile que le débat « Heure d'été / heure d'hiver », est-il réellement imaginable qu'une instance internationale nous offre ces garanties prochainement ? Encore plus maintenant que la boite de Pandore s'est encore un peu plus ouverte avec les possibilités qui semblent infinies (mais qui sont, en réalité, bien limitées) de l'IA et dont les retombées financières, qui dépassent tout entendement, en font chavirer plus d'un ?
Sans doute serait-il dès lors plus prudent que nous prenions d'abord conscience individuellement du hack du siècle et que nous prenions nous même des mesures pour atténuer un tant soit peu l'emprise du numérique sur nous et limiter comme on peut les dégâts qu'il occasionnera sur nous et nos enfants.

Enfin... cette mise en garde, cette réserve sur le numérique, pourrait sembler incohérent, même invraisemblable, venant d'un informaticien comme moi, mais dans la mesure où je sais très bien, techniquement, ce qu'il est possible de faire avec ces outils numériques, peut-être que mon point de vue la rendra d'autant plus alarmante...

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